Rencontre des élèves de 1ère S avec Mme Florence Tsagué,
auteur du recueil La Porte de Minuit

 

 

Nous avons eu la chance, nous les élèves de 1èreS et notre professeur de français, M. Cochez, de rencontrer, vendredi 9 novembre 2018, Mme Florence Tsagué, de passage en Haïti dans le cadre du Carrefour des auteurs. Ce salon du livre, organisé par les Alliances Françaises et l’Institut Français en Haïti, recevait, entre autres personnalités, M.Patrick Poivre d'Arvor, Mme Chloé Savoie-Bernard, M. Sylvestre Bouquet et M. Jean Bofane.

Avant la rencontre, nous nous sommes renseignés sur la biographie de Mme Tsagué, sur son œuvre, avons visionné quelques-unes de ses entrevues, visité son site Internet et préparé les questions que nous souhaitions lui poser.

C’est notre camarade Anya Dalzon qui a souhaité, en notre nom, la bienvenue à Mme Tsagué et qui lui a dit à quel point nous étions touchés par sa présence. Elle lui a aussi demandé si nous pourrions, après son intervention, lui poser quelques questions, ce que Mme Tsagué a accepté avec beaucoup de gentillesse.

Mme Tsagué nous a d’abord parlé de son parcours. Elle est née au Cameroun, puis a fait des études de littérature, de linguistique et de sciences politiques. Elle écrit mais donne aussi des cours à l’Université de Siegen. Elle a commencé à écrire lorsqu’elle est arrivée en Allemagne. À cette époque, elle n’avait pas encore trouvé son propre style mais elle était déjà passionnée par l’écriture des romans et des nouvelles. En 2009, elle a publié son premier roman, Femmes connues, coépouses inconnues, puis, en 2013, elle a pris des cours d’anglais et, en particulier, un cours d’American Gothic, un genre fantastique marqué par l’horreur, pendant six mois. Cela a eu une influence déterminante sur son œuvre. En 2016, elle a publié un recueil de quatre nouvelles, La porte de Minuit.

Ce recueil dont les nouvelles s’intitulent « La Porte de Minuit », « Le Revenant », « Le Marigot aux Raphias dansants » et « Un Cadavre pour le remaniement ministériel », s’organise autour d’un fil conducteur : les démons de la nuit. Mme Tsagué nous a fourni des explications très intéressantes sur la référence à minuit. Durant son enfance, nous a-t-elle dit, il était très difficile pour les enfants de sortir de leur maison la nuit car ils avaient peur. Cette heure précise, minuit, était une sorte de transition mystérieuse et inquiétante, le moment où ils avaient l’impression d’ouvrir une porte dangereuse. C’était ce que disaient les histoires qu’on lui racontait autour du feu lorsqu’elle était enfant. Ainsi, dans « La porte de Minuit », dont l’action se passe au Cameroun, une jeune fille de douze ans se retrouve toute seule dans la nuit et doit affronter un monstre. Dans « Le Revenant », quelqu’un meurt et réapparaît le lendemain. C’est une histoire rocambolesque au début et rationnelle à la fin.

 

 

 

 

Mme Tsagué nous a non seulement parlé du ton de ses nouvelles mais aussi de leur composition. Avant d’écrire une histoire, elle fait un plan très structuré, réfléchit au décor, aux personnages, aux noms, aux lieux… Elle a aussi besoin de connaître la fin de l’histoire avant de commencer. En général, c’est la nuit qu’elle écrit, quand il n’y a pas de bruit. Même si les histoires sont fictives, l’écriture est pour elle un moyen de répondre à ses interrogations.

Après cette présentation, Mme Tsagué nous a invités à lui poser nos questions. Les voici, suivies de ses réponses, que nous avons essayé de restituer à partir de nos notes.

Avez-vous toujours eu envie de devenir écrivaine ?

Je n’écris pas pour devenir écrivaine : c’est  l’écriture qui s’impose à moi. L’écriture me paraît être un moyen approprié de façonner le monde à ma façon. L’écriture, c’est aussi une arme puissante, ce qui rend parfois le métier d’écrivain un peu lourd. Écrire, c’est en effet revendiquer sa liberté et refuser la dictature. J’écris également pour défendre la méritocratie, l’éthique. C’est d’ailleurs le thème de la nouvelle « Un Cadavre pour le remaniement ministériel ».

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire votre recueil, La Porte de Minuit ?

Cette histoire est hors de la politique : l'envie d'écrire ce livre vient de mon enfance. Quand il n'y a pas d'électricité, qu’il fait sombre et que vous êtes enfant, la peur vous saisit. Les esprits sortent à minuit et dansent, nous racontait-on. C’est ce que l’on croit voir lorsque le vent fait bouger les arbres. C’est surtout, nous disait-on, dans les forêts sacrées que l’on pouvait voir des esprits. Si j’écris, c’est que je m’interroge. C’est pour cela que, par exemple, malgré ma religion, le christianisme, je suis allée découvrir la pratique du Vaudou aux Gonaïves, car c’est l’un des éléments qui lient Haïti à l’Afrique.

Vous êtes politologue et romancière. Ces deux choix de carrière sont très différents, pour ne pas dire opposés. Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir créatrice d’histoires et analyste socio-politique ?

Les  deux ne sont pas aussi antinomiques qu’il y paraît. Mes études en Allemagne m’ont permis de découvrir le monde dans un esprit de liberté, de m’investir dans la littérature et la fiction, mais également de lire de nombreux livres de sociologie et de me consacrer à une écriture engagée. Car l’écriture est aussi une œuvre de générosité : quand on a écrit un livre, il ne nous appartient plus, il est offert. Et quand un écrivain meurt, un autre vient après lui, qui perpétue la transmission. Écrire des histoires, c’est aussi trouver un canal qui permette de se faire écouter.

 

 

Pourquoi avez-vous accordé autant d’importance à la mort dans votre première nouvelle ?

Cela est sans doute dû au fait que j’ai grandi au Cameroun avant de découvrir l’Europe. Au Cameroun, le deuil est quelque chose de quotidien. Lors d’un décès, les Camerounais montrent leur compassion en pleurant à gros sanglots. Au Cameroun, quand quelqu’un meurt, il faut pleurer pour montrer que celui qui nous quitte était important pour nous. Quand je suis arrivée en Allemagne, en 1998, j’ai eu l’impression qu’on ne pleurait pas, que la mort n’existait pas. Elle semblait dissimulée dans les hôpitaux. Même les cérémonies, les messes, étaient faites discrètement. Cela m’a conduite à m’interroger sur le rapport à la mort dans les différentes sociétés.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce livre ?

D’abord, je dois dire qu’écrire est un des travaux les plus nobles du monde. C’est en 2013 que j’ai commencé à écrire le livre La Porte de Minuit, après mon cours d’American Gothic. J’ai mis un an et demi pour écrire trois nouvelles. Parallèlement, j’allais à l’Institut français pour lire et pour ne pas oublier le français. Je préfère écrire des nouvelles plutôt que des romans, car les formes brèves me conviennent davantage. Quand vous écrivez, n’oubliez pas que vous êtes votre premier lecteur : si l'histoire est triste, vous devez être triste mais si l'histoire est comique, vous devez rire pour faire rire le lecteur. A la fin de tout cela, le seul salaire que l’on reçoit, c’est la satisfaction de voir le lecteur se retrouver dans son histoire, mais c’est une grande satisfaction.

Vos livres s’inspirent-il de la réalité ?

Dans mes livres, la réalité est très importante. J’aime observer la société. Quand on voit les autres, on se voit soi-même. Mes livres sont faits à la fois de réel et de fiction. Il savoir extraire de la réalité ce qui est important. Il faut savoir observer la société et s’observer soi-même, s’interroger sur ses problèmes et sur ceux des autres. Mais, à la fin, la réalité ne suffit pas. Pour écrire, il faut de l'imagination et une forme esthétique.

Vous qui êtes née au Cameroun, pensez-vous qu’un jour nous verrons une Afrique totalement libérée de l’influence occidentale ?

Vous connaissez, bien sûr, Bob Marley. Il a beaucoup défendu Afrique, qu’il voulait voir unie. Les Africains ont vécu l'esclavage et cela demeure une blessure profonde. Nous ne sommes pas détachés de l'histoire. Chacun y contribue à sa façon. Il faut continuer à construire l’Afrique, même s’il y a beaucoup de problèmes, politiques, économiques, sociaux… Une nouvelle génération émerge. Je reste très optimiste.

 

 

Nous avions encore beaucoup de questions à poser à Mme Tsagué mais l’heure était venue de nous quitter. Nous l’avons donc remerciée chaleureusement de sa visite et lui avons dit combien nous serions heureux de la revoir. Cette rencontre a été très enrichissante pour nous tous, nous avons beaucoup appris et nous avons beaucoup apprécié le contact avec Mme Tsagué. Notre seul regret et de ne pas avoir pu rencontrer les autres écrivains. Nous espérons que ce n’est qu’un début et que notre lycée organisera d’autres entrevues aussi intéressantes que celle-là.

Compte rendu réalisé par Enya Alcindor et Corina Sleiman 
dans le cadre du cours de français de 1èreS.